Association d’amitié franco-coréenne, “Refuser la division du monde”

Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a lancé une «opération spéciale» en Ukraine. Depuis cette date, beaucoup de choses sont dites dans les grands médias sur les motivations de cette opération. Une seule chose est sûre : la vérité sur les causes et les implications du conflit opposant la Russie et l’Ukraine, et du conflit plus global dans lequel il s’inscrit, ne se trouve pas dans les grands médias, russes ou occidentaux. Pour ne parler que des médias français, on assiste à un défilé d’experts travaillant dans des think tanks subventionnés par l’OTAN, d’expatriés ukrainiens prêts à se battre jusqu’au dernier Européen, d’ex-espions du KGB mythomanes… Au niveau du grand public, à partir des informations à sa disposition, il n’est donc possible de faire que des suppositions. Au-delà des motifs avancés par la Fédération de Russie (protection des populations des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk suite à la faillite des accords de Minsk I et II, « dénazification » de l’Ukraine…), on ne connaîtra peut-être jamais l’élément déclencheur qui l’a poussée à lancer une « opération spéciale » en Ukraine le 24 février 2022. On peut néanmoins faire le constat suivant : le conflit en Ukraine est le dernier front ouvert dans une guerre plus globale entamée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dont les peuples ont été les premières victimes avant de devenir eux-mêmes les belligérants d’une guerre de l’information.

D’emblée, il faut affirmer notre soutien au peuple ukrainien, victime d’un conflit entre grandes puissances. Mais ce soutien ne doit pas être équivalent à une condamnation unilatérale de la Russie. Cette dernière a bien lancé une opération militaire massive en Ukraine le 24 février 2022, mais la Fédération de Russie a sans doute pris la moins mauvaise option face au danger existentiel que représentait, malgré les promesses, l’extension continuelle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord vers les pays de l’est de l’Europe après la fin de la Guerre froide, une extension qui a intégré de facto l’Ukraine, coeur historique de la Russie, après 2014 et le coup d’État du Maïdan.

De la Corée à l’Ukraine

A ce stade, il convient de relever une première analogie avec la situation d’un autre peuple victime d’un conflit entre grandes puissances : le peuple coréen.

En 1945, la Corée était un pays unifié depuis des siècles, représentant une civilisation pluri-millénaire, quand, au terme de 40 ans d’une colonisation féroce par l’Empire du Japon, elle fut divisée de part et d’autre du 38e parallèle en deux entités devenant en 1948 deux Etats appartenant à deux blocs opposés. Les accrochages qui eurent lieu autour de la frontière artificielle du 38e parallèle dès le début de la division ont débouché le 25 juin 1950 sur une incursion massive des troupes nord-coréennes en Corée du Sud. Selon les gouvernements des Etats-Unis et de leurs alliés, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) serait la seule responsable de la Guerre de Corée et tenterait, sans raison, de s’équiper en armes de destruction massive. Pourtant, la décision de diviser la Corée fut bien prise par les Etats-Unis, même si l’Union soviétique ne s’y opposa pas. Après son accession à la présidence de la République de Corée (du Sud) en 1948, avec le soutien des Etats-Unis, Syngman Rhee parla de «marche vers le Nord», signifiant qu’il envisageait une réunification de la Corée par la force.

La Guerre de Corée s’est terminée par un simple cessez-le-feu le 27 juillet 1953, date de signature de l’Accord d’armistice, et cette guerre n’a jamais pris fin officiellement, aucun traité de paix n’ayant été conclu. L’Accord d’armistice a été violé presque dès sa signature par les États-Unis, lesquels, à partir de 1955, ont introduit des armes, y compris nucléaires, en Corée, malgré les dispositions explicitement contraires de l’Accord. Depuis 1945, les Etats-Unis ont eux-mêmes utilisé ou menacé d’utiliser l’arme nucléaire en Asie du Nord-Est. Ils sont la seule puissance à avoir eu recours à l’arme nucléaire, et leur doctrine repose sur la menace de l’employer de nouveau. Ainsi, selon la Revue de la posture nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR) des Etats-Unis publiée en 2010, ceux- ci «n’utiliseront pas ni ne menaceront d’utiliser des armes nucléaires contre des pays qui n’en sont pas dotés, adhèrent au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et respectent leurs obligations en matière de non- prolifération nucléaire».
Jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis s’opposent au remplacement de l’Accord d’armistice par un traité de paix permanent en Corée et souhaitent même redonner de la vigueur au Commandement des Nations Unies, signe de la volonté de Washington de maintenir une politique hostile à l’égard de la RPDC.1)

1) Le Commandement des Nations Unies a été constitué en Corée du Sud avec des militaires des 15 pays intervenus dans la guerre aux côtés des États-Unis, en application d'une décision du Conseil de sécurité du 7 juillet 1950. Ces 15 pays ont retiré leurs corps expéditionnaires de Corée entre 1953 et 1957, laissant les militaires américains seuls au sein du Commandement.
A coté du Commandement des Nations Unies, les Etats-Unis disposent de deux autres structures militaires distinctes en Corée : les Forces des Etats-Unis en Corée (United States Forces Korea, USFK) et le Commandement des forces combinées (Combined Forces Command, CFC). Faisant partie du Commandement des Etats-Unis pour l'Indo-Pacifique (USINDOPACOM), les Forces des Etats-Unis en Corée viennent en soutien du Commandement des Nations Unies et du Commandement des forces combinées. Dirigé par un général états-unien, le CFC a le contrôle opérationnel de l'armée sud- coréenne en temps de guerre.

Selon un mémorandum du ministère des Affaires étrangères de la RPDC publié le 14 janvier 2013 :

«Les États-Unis, selon leur nouvelle stratégie de défense, essaient de transformer le ‘Commandement des Nations Unies’ en un ‘commandement des forces multinationales’ qui servirait de matrice à une version asiatique de l’OTAN.

L’arrière-pensée de la nouvelle stratégie de défense des États-Unis, rendue publique pour la première fois en janvier 2012, est d’encercler et d’exercer une pression militaire sur les autres grandes puissances d’Asie afin d’empêcher celles-ci de croître suffisamment pour leur résister. Dans ce but, les États-Unis envisagent de concentrer 60% de leurs forces déployées outre-mer dans la région Asie-Pacifique au cours des dix prochaines années. En même temps, les États-Unis accélèrent leurs préparatifs pour rassembler progressivement leurs alliés de la région au sein d’une alliance militaire multilatérale telle que l’OTAN, évoluant sous un système de commandement unifié.

C’est un fait bien connu que les États-Unis visent depuis longtemps à former une alliance militaire tripartite en combinant les alliances militaires conclues entre les États-Unis et le Japon et entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Les États-Unis ont tiré leur ‘expérience’ de l’endiguement et de l’effondrement de l’ex-Union soviétique et des pays d’Europe de l’Est en s’appuyant sur l’OTAN pendant la Guerre froide. En se basant là-dessus, ils essaient de mettre sur pied une organisation militaire collective d’une plus grande échelle, laquelle leur permettrait d’encercler aussi bien leurs ennemis potentiels de la région Asie-Pacifique.»

C’est donc bien la même logique impériale qui guide la politique des Etats-Unis en Europe et en Asie au travers de l’extension de leurs alliances militaires. Cette logique est à l’origine du déclenchement puis de la perpétuation du conflit en Corée, et de l’actuel conflit en Ukraine, qui a en fait débuté par le coup d’État de 2014.

Attaquer la Russie pour encercler la Chine

La question mérite d’être posée : les stratèges états-uniens se servent-ils du conflit en Ukraine pour affaiblir la Russie, voire y provoquer un changement de régime, afin d’encercler la Chine?

En effet, si on se projette en Asie, on constate que les exercices militaires menés par les armées états-unienne et sud-coréenne, prétendument pour prévenir une attaque nord-coréenne, sont un facteur de tension récurrent dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est, et semblent plutôt s’inscrire dans la stratégie américaine d’endiguement de la Chine initiée par les néo-conservateurs états-uniens sous la présidence de George W. Bush.

Comme l’a expliqué le professeur Michael T. Klare dans un article de 2006 («Containing China», Tomdispatch.com, 18 avril 2006), l’administration Bush est entrée en fonction en janvier 2001 avec un objectif clair : ressusciter la doctrine de domination permanente énoncée dans les Directives pour le plan de défense (Defense Planning Guidance, DPG) pour les années 1994-1999, premier exposé formel des buts stratégiques des Etats-Unis après la disparition de l’Union soviétique. Selon la première version de ce document, sortie dans la presse au début de 1992, le premier objectif stratégique des Etats-Unis était d’empêcher l’apparition d’un futur concurrent susceptible de défier la supériorité militaire américaine. «Notre premier objectif est de prévenir la réapparition d’un nouveau rival […] qui présente une menace de l’ordre de celle présentée autrefois par l’Union soviétique», était-il écrit dans ce document. En conséquence, «nous devons nous efforcer d’empêcher toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources, contrôlées ensemble, suffiraient à donner une puissance mondiale.»

En 1992, la doctrine de domination permanente ne spécifiait pas l’identité des futurs concurrents dont il fallait empêcher l’émergence par une action coercitive. Les stratèges états-uniens s’inquiétaient alors d’un ensemble de rivaux potentiels, parmi lesquels la Russie, l’Allemagne, l’Inde, le Japon et la Chine, chacun d’entre eux, pensaient- ils, pouvait devenir en quelques décennies une superpuissance, et ils devaient donc tous en être dissuadés. Cependant, quand George W. Bush fut élu président des Etats-Unis en 2000, le nombre des rivaux potentiels s’était réduit. Aux yeux des stratèges de Washington, seule la République populaire de Chine possédait la capacité économique et militaire de défier les Etats-Unis et d’aspirer à la superpuissance. Dorénavant, perpétuer la supériorité américaine dans le monde impliquait de contenir la puissance chinoise.

En 2006, pendant le second mandat du président Bush, l’Examen quadriennal de la Défense (Quadrennial Defense Review, QDR), réaffirmant le précepte général énoncé dans les DPG de 1992, identifia la Chine comme la superpuissance concurrente la plus probable et la plus dangereuse : «Parmi les puissances émergentes majeures, la Chine a le plus fort potentiel pour rivaliser militairement avec les Etats-Unis et capter des techniques militaires perturbatrices qui pourraient au bout d’un certain temps contrebalancer les avantages militaires traditionnels des Etats-Unis.»

Le QDR en appelait donc à un renforcement des moyens de combat dans la zone Asie-Pacifique, insistant particulièrement sur les moyens navals : «La flotte sera davantage présente dans l’océan Pacifique», note le document. Pour y parvenir, «la Marine envisage d’ajuster la position et l’implantation de ses forces pour fournir dans le Pacifique au moins six porte-avions opérationnels et disponibles ainsi que 60% de ses sous-marins à des fins d’engagement, de présence et de dissuasion».

La victoire d’Orwell sur Fukuyama

Loin d’une «fin de l’histoire» entraînée par la fin de la Guerre froide et la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme, théorie avancée en 1992 par le politologue états-unien Francis Fukuyama dans un célèbre ouvrage (La Fin de l’histoire et le Dernier homme), le conflit en Ukraine montre que l’histoire continue ou plutôt se répète. Si on tient compte des prestations du président ukranien Volodymyr Zelensky, il faut admettre que Karl Marx avait raison quand il écrivait : «Tous les grands événements et personnages de l’histoire du monde se produisent pour ainsi dire deux fois […] : la première fois comme une grande tragédie, la seconde comme une farce sordide.» (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852)

Le conflit en Ukraine, ses conséquences pour les peuples du mondes, y compris ceux des démocraties dites libérales, marque plutôt la victoire de George Orwell sur Fukuyama. Publié en 1949, le roman d’Orwell 1984 prend des allures de prophétie dans sa description d’Océania, pays dirigé par Big Brother et dont la devise tient en trois phrases : «La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force»

«L’ignorance c’est la force.»

Les grands médias sont de peu d’utilité dans la compréhension de l’origine et des – véritables – enjeux de l’affaire ukrainienne. Ce rôle pédagogique semble désormais assuré par les réseaux sociaux, même s’ils ne sont pas exempts de défauts, d’où un certain empressement des autorités à vouloir censurer ces réseaux sous des prétextes divers avec lesquels l’opinion publique ne pourra qu’être d’accord (lutte contre la haine, lutte contre les trafics, etc).

Par cette censure favorisant le monopole des grands médias sur l’information, et donc l’ignorance du grand public, il s’agit d’entretenir le « brouillard de guerre », expression forgée par le stratège prussien Carl von Clausewitz (De la guerre, 1834), évoquant l’absence ou l’incertitude des informations quant aux forces, aux positions et aux objectifs des belligérants dans une guerre. Car la guerre globale actuelle est aussi une guerre de l’information et l’opinion publique, dont une partie produit aujourd’hui de l’information grâce aux nouveaux moyens de communication, est elle-même belligérante.

«La liberté c’est l’esclavage.»

Le conflit en Ukraine prend place à un moment particulier, deux ans après le début de l’épidémie mondiale de Covid-19 qui a suscité, de la part des gouvernements et de groupes privés, relayés par les grands médias, des efforts visant à influencer des attitudes et des comportements sociaux à grande échelle.

La crise sanitaire est le prétexte d’un recul des libertés publiques et d’un contrôle social sans précédent, y compris dans les démocraties dites libérale. En outre, les mesures visant à endiguer la progression du virus, par la rupture provoquée des chaînes d’approvisionnement, ont déjà entraîné des pénuries.

Le conflit en Ukraine perpétue cette tentative d’ingénierie sociale, en aggravant encore les risques de pénuries et de contrôle des populations, avec l’assentiment de ces dernières prêtes à renoncer à leurs libertés pour une sécurité toute relative. Que se passera-t-il quand le «passe sanitaire» sera couplé aux tickets de rationnement?

Ce qui était inacceptable est désormais devenu acceptable, selon le principe de la « fenêtre d’Overton ».2)

2) Le politologue libertarien Joseph P. Overton (1960-2003) a décrit un axe des idées, de «plus libre» à «moins libre», concernant l'action du gouvernement. Sur cet axe, se déplace une fenêtre, de taille variable, dévoilant le degré d'acceptabilité des idées situées sur cet axe. Les degrés d'acceptation des idées publiques sont les suivantes : impensable, radical, acceptable, raisonnable, populaire, politique publique. La fenêtre d'Overton est une approche permettant d'identifier les idées définissant le domaine d'acceptabilité des politiques gouvernementales possibles dans le cadre d'une démocratie. Les partisans de politiques en dehors de la fenêtre d'Overton cherchent à persuader ou éduquer l'opinion publique afin de déplacer et/ou d'élargir la fenêtre. Les partisans dans la fenêtre - soutenant les politiques actuelles, ou similaires - cherchent à convaincre l'opinion publique que les politiques situées en dehors de la fenêtre doivent être considérées comme inacceptables.

«La guerre c’est la paix.»

Dans le roman 1984, Emmanuel Goldstein est l’ennemi que les citoyens d’Océania ont invités à conspuer au cours de grands rassemblements publics nommés «deux minutes de la haine». Connaissant bien les rouages du système pour en avoir été un des fondateurs, Goldstein a écrit un livre dont la lecture est strictement interdite en Océania, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique, dans lequel il est dit : «Une paix vraiment permanente serait la même chose qu’une guerre permanente. Ceci – bien que la grande majorité des membres du Parti ne le comprenne que dans un sens plus superficiel – est le sens profond du slogan du Parti : La guerre c’est la paix.»

De 1945 à 2022, de la Corée à l’Ukraine, en passant par tous les conflits «périphériques» la guerre a en effet été permanente, alors que les citoyens de pays officiellement non belligérants étaient confortés dans l’idée de vivre en paix.

Cette guerre permanente est celle opposant les thalassocraties, les puissances de la mer (Royaume-Uni hier, Etats-Unis aujourd’hui) aux tellurocraties, les puissances de la terre (Allemagne et Russie hier, Russie et Chine aujourd’hui) pour la domination du continent eurasiatique, l’«Île-Monde» évoquée par le géographe britannique Halford John Mackinder (1861-1947) : «Qui domine l’Europe orientale commande le Heartland. Qui domine le Heartland commande l’Île-Monde. Qui domine l’Île-Monde contrôle le monde.»

La permanence de cet affrontement global donne corps à la théorie de l’existence d’un «Etat profond» dans les démocraties dites libérales, un pouvoir institutionnel pérenne survivant aux alternances politiques et se maintenant de façon cohérente, dont les alliances militaires pilotées par les Etats-Unis seraient le bras armé.

Face aux manœvres de l’État profond, l’expérience historique de chaque force attachée à l’idée de souveraineté nationale doit éclairer le chemin à suivre. Dans leur diversité, ces expériences montrent la nécessité de l’union entre forces communistes, anti-impérialistes et bourgeoisie patriote.

Ainsi, dans la France occupée par l’Allemagne nazie, la création d’un Conseil national de la Résistance (CNR) permit de diriger et coordonner à partir de 1943 les différents mouvements de la Résistance intérieure française pendant la Seconde Guerre mondiale, toutes tendances politiques comprises. Le CNR était composé de représentants des mouvements, syndicats et partis politiques hostiles au gouvernement collaborationniste de Vichy. Le programme du CNR, adopté en mars 1944, prévoyait un «plan d’action immédiat» (c’est-à-dire des actions de résistance), mais aussi des «mesures à appliquer dès la libération du territoire», une liste de réformes sociales et économiques. Ce programme permit à la France de se relever après la Libération.

En Corée, une conférence conjointe des représentants des partis et des organisations sociales de Corée du Nord et du Sud, fut convoquée en avril 1948 à Pyongyang dans l’espoir de parvenir à un Etat coréen unifié et indépendant. C’est ainsi que Kim Ku, ancien président du gouvernement coréen provisoire en exil pendant la colonisation japonaise se rendit à Pyongyang pour rencontrer Kim Il Sung, président du Comité populaire provisoire de Corée du Nord, afin d’empêcher la partition prévisible de la Corée suite à la tenue d’élections dans la seule partie Sud. Kim Ku était un farouche anticommuniste. Néanmoins, il accepta la main tendue par ses adversaires idéologiques en mettant en avant l’intérêt de la nation coréenne, ce qui permit au président Kim Il Sung d’écrire dans ses mémoires : 

«Une véritable collaboration est inconcevable si l’on ne place pas les intérêts nationaux au-dessus de tout et si l’on ne s’en tient qu’à son idéologie. Par contre, il est possible de s’unir avec toutes les couches sociales en mettant au premier plan la grande cause de la libération nationale. Voilà mon attitude en la matière. C’est en partant de cette position, après la Libération, que nous avons collaboré avec M. Kim Ku qui avait lutté jusque-là, toute sa vie, contre le communisme et qu’aujourd’hui nous en appelons à la raison de tous les Coréens pour réaliser l’union nationale. L’union nationale mènera à l’isolement des forces étrangères et des traîtres à la patrie.» (Kim Il Sung, A travers le siècle, Mémoires, T.2, Editions en langues étrangères, Pyongyang, RPDC, 1992, p.52)

On sait que la conférence de Pyongyang ne parvint pas à empêcher la division de la Corée et que, pour son engagement en faveur de la réunification, Kim Ku fut assassiné le 26 juin 1949 par un agent de la police secrète sud-coréenne, voire, selon certains historiens, de la CIA. Mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, et, dans un contexte mondialisé, une union transcendant les divergences idéologiques au niveau international est à la fois possible et vitale alors que l’essentiel est aujourd’hui en jeu : éviter un monde divisé en blocs et en guerre perpétuelle, prétexte à un asservissement des peuples.