À l’heure où le danger d’une guerre mondiale nucléaire menace l’humanité entière, à cause de la crise civilisationnelle d’un capitalisme tardif qui apparaît aujourd’hui dans toute sa cruauté, il devient absolument indispensable de porter un regard objectif, équilibré, scientifique, sur la situation, ses dangers et aussi ses opportunités. La question de l’analyse objective de l’impérialisme à l’étape historique actuelle devient brûlante, et si l’on utilise la méthode d’analyse matérialiste du socialisme scientifique, nous serons en état d’apporter les moyens permettant à l’humanité de se dégager de l’impasse politique, idéologique et intellectuelle dans laquelle elle se trouve engluée. Notre but doit être de pouvoir désigner qui est l’ennemi principal des peuples à l’heure actuelle et comment sortir de la spirale mortifère dans laquelle nous sommes engagés.
Si en 1914, Jean Jaurès pouvait formuler cette vérité évidente que « le capitalisme apporte la guerre comme la nuée apporte l’orage », c’était parce que ce système était parvenu au stade de l’impérialisme, ce qui nous amène à devoir, à chaque étape historique, analyser les rapports des différentes bourgeoisies avec l’impérialisme et, en conséquence, analyser les fondements des différents États capitalistes comme le fonctionnement des capitalistes dans les États qui échappent au moins en partie à la domination des capitalistes. Nous devons nous rappeler aussi que la bourgeoisie n’est pas une classe monolithique universelle car il y a, selon les pays, leur puissance et leurs régimes sociaux et politiques, une bourgeoisie impérialiste, une bourgeoisie compradore et une bourgeoisie nationale. Si les deux premières sont devenues aujourd’hui incontestablement réactionnaires, la dernière, même si elle est marquée par l’opportunisme, n’en reste pas moins une classe présentant un potentiel progressiste, dès lors qu’il existe des forces prolétariennes pouvant créer un rapport de forces, à l’échelle nationale et internationale, qui la pousse à s’émanciper de la tutelle de l’impérialisme. Il faut donc savoir faire la différence entre les contradictions au sein du peuple et les contradictions antagonistes entre la bourgeoisie liée à l’impérialisme et toutes les autres classes sociales qui s’y opposent, sous une forme conséquente ou moins conséquente. Dès lors, c’est l’analyse concrète de la situation concrète qui nous apporte les réponses aux questions que nous venons de formuler.
Si nous comparons le nombre de bases militaires étrangères de par le monde, si nous évaluons l’importance des budgets militaires des différents États et alliances militaires de la planète et si nous comptons les guerres qui se sont succédées depuis 1989/91, c’est-à-dire depuis le démantèlement du camp socialiste, du camp de la paix, alors nous pouvons constater quels sont les États qui sont les véritables fauteurs de guerres et de tensions de toutes sortes, c’est-à-dire les États où le complexe militaro-industriel est devenu le pivot de leurs politiques face à d’autres États qui tentent de mener une politique de développement plus autocentré sur les besoins de leurs populations, qui promeuvent des relations économiques internationales plus équilibrées et qui cherchent à produire d’autres biens que des armes, des drogues, et qui ne basent pas leur force sur une monnaie virtuelle imposée dans le commerce international, une monnaie sans base productive directe mais s’appuyant sur des réseaux financiers dictant au monde entier les « Terms of trader » néfastes pour le développement de l’immense majorité de l’humanité.
C’est dans ce contexte que nous ne pouvons que constater que les États-Unis avec leurs supplétifs des Five Eyes, de l’Union européenne et du Japon constituent aujourd’hui le noyau de la principale force apportant au monde guerres, agressions, interventions extérieures et ingérences dans les affaires intérieures des autres États. Force agressive parce qu’elle est prise à la gorge de sa propre crise, de sa stérilité productive grandissante et de la menace de baisse tendancielle des taux de profits pour ses capitalistes. Face à cela, nous avons la masse des pays du « reste du monde », 85 % de l’humanité au moins, qui, par ses votes à l’assemblée générale des Nations Unies, en particulier les derniers concernant les sanctions visant la Russie, témoigne du fait que ces pays supportent de plus en plus difficilement l’hégémonie stérile et contre-productive d’un monde unipolaire dont la force est basée sur un dollar devenu une monnaie virtuelle et sur une force militaire menaçant de s’attaquer à tout pays qui n’obéirait pas au doigt et à l’oeil au maître de l’Atlantique nord, quels que soient les services qu’il a pu rendre auparavant à cet impérialisme. Ce que nous pouvons constater avec les prises de position récentes de pays et de gouvernements jusque là soumis, voire réactionnaires, comme l’Inde, le Brésil, la Turquie, le Mexique et même l’Arabie saoudite.
Et puis nous avons une vingtaine d’États contre-hégémoniques qui tentent activement de rompre le cercle infernal de la soumission, et qui lancent plusieurs initiatives de regroupement visant à promouvoir la multipolarité, BRICS et BRICS+, Organisation de Coopération de Shanghai, ALBA, Organisation du Traité de Sécurité collective, etc. Même si beaucoup de ces États sont capitalistes et si l’on peut entendre chez certains de leurs dirigeants des discours porteurs de conceptions archaïques, par exemple en Russie ou en Iran, on ne peut en aucun cas se focaliser sur ces éléments désagréables pour tout progressiste mais somme toute secondaires, d’autant plus qu’en face, nous trouvons, entre autre exemple, en Ukraine de véritables nazis qui occupent des postes de commandement au sein de l’appareil d’État, en Syrie des islamistes takfiristes réactionnaires qui auraient, il faut le rappeler; conquis le pays si la Russie et l’Iran ne s’étaient pas opposés concrètement à cette menace soutenue activement par l’impérialisme des USA et de leurs supplétifs. Sans parler du rôle systématiquement violent, répressif et cruel que joue Israël dans toute la région moyen-orientale voire plus loin dans le monde, et sans mentionner les ingérences militaires des pays occidentaux en Afrique ou en Amérique latine. Force est de constater que, sans les contrepoids russe, chinois ou iranien, ou sans la fermeté militaire manifestée par la RPDC, tous les états souverains dans le monde auraient sans doute succombé.
Il est dès lors impossible, vu les rapports de forces concrètes existant aujourd’hui et se manifestant dans les guerres actuelles, et malgré des tendances désagréables pour un progressiste existant dans les pays promoteurs d’un monde multipolaire, de considérer que la guerre en Ukraine serait une guerre interimpérialiste, à l’image de celle de 1914 quand, effectivement, on avait affaire à deux camps d’une force comparable, ayant des budgets militaires comparables, une présence militaire mondialisée comparable et ayant donc les mêmes objectifs, mais en concurrence, visant à se repartager le monde entier à leur seul profit. Il faut à cet égard rappeler aussi que la Seconde Guerre mondiale avait également un aspect interimpérialiste mais que cette guerre ne pouvait pour autant être analysée, surtout à partir de 1941, selon le même schéma que celle de 1914 parce que cette guerre était également une guerre antifasciste qui nécessitait un front uni des peuples et des États démocratiques, que ce soit des États de démocratie bourgeoise ou l’Union soviétique, État de démocratie socialiste. Or, aujourd’hui, nous assistons à l’Ouest à un processus de répressions et de censure grandissantes dont témoigne l’appui aux politiques de rétro-fascisation que nous constatons en Ukraine ou dans les pays baltes, mais aussi dans beaucoup d’autres États capitalistes liés aux puissances occidentales en crise profonde, et elles-mêmes touchaient par des phénomènes de néo-fascisation. Et le rapport de forces unipolarité/multipolarités voit s’opposer un bloc de puissances unifié face à une convergence d’États beaucoup moins militarisés et ayant des régimes sociaux et politiques très différents, et qui ne peuvent donc, à cause de cela, représenter un bloc mais seulement une alliance contre-hégémonique à géométrie variable.
Les anticapitalistes conséquents, les révolutionnaires, les communistes, ne peuvent donc s’arrêter aux seules apparences des discours d’un dirigeant ou d’un autre mais ils doivent analyser plus en profondeur les bases de classe sur lesquelles sont bâtis les États aujourd’hui engagés dans des guerres ouvertes ou dans des guerres hybrides. Il est clair que si la Chine, la Russie, l’Iran, Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, l’Algérie, la Syrie, la RPDC se retrouvent sur des positions largement convergentes dans leurs analyses des tensions internationales et de la guerre en Ukraine, cela est dû au fait que ces États sont issus de processus révolutionnaires qui continuent de les marquer profondément, et que la situation des classes dominantes de ces pays ne peut être assimilée à celle des pays du vieil impérialisme occidental devenu certes de plus en plus poussif mais qui, à cause de cela, est d’autant plus désespéré, violent, extrémiste, cruel, guerrier.
Le devoir des marxistes aujourd’hui est donc de prendre en compte toutes les données de base que nous venons de mentionner et de ne pas se tromper d’ennemi, en confondant ennemi principal et ennemi secondaire, État menaçant et État menacé, allié stratégique et allié tactique. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils seront en état d’occuper dans l’histoire la place qui doit être la leur, celle de constituer l’avant-garde politique, idéologique, intellectuelle d’une humanité voulant rompre avec les logiques de guerre pour reconstituer un « camp de la paix » promoteur de diversité, de souveraineté, de développement équilibré, de progrès social et de multipolarité. Nous ne pouvons nous permettre de perdre du temps dans des querelles inutiles portant sur les aspects secondaires de tel ou tel régime politique, en soutenant des conceptions renvoyant dos à dos tous les protagonistes des conflits actuels au nom d’une moralité de fait petite-bourgeoise stérile, ou d’un gauchisme de salon. Comme souvent dans les moments de l’histoire marqués par l’aiguisement des contradictions, nous devons être en état de lutter contre les déviations de droite et « de gauche » qui contribuent toutes ensemble à diluer les responsabilités des fauteurs de guerre et donc d’aider objectivement l’impérialisme central, c’est-à-dire l’impérialisme US avec ses supplétifs fauteurs de provocations et de guerres, comme c’est entre autres le cas en Ukraine depuis 2014, en Syrie et en Libye depuis 2011, en Irak depuis 2003, en Yougoslavie depuis 1999, et bien sûr à Taïwan et en Corée.
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